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Krystyna Ziach
L’imagerie symbolique de Krystyna Ziach par Florent Bex, 2006 (French)
Florent Bex est directeur honoraire du musée d’art contemporain MuHKA, Anvers, Belgique
Catalogue : Photoquai, 1 ére Biennale des Images du Monde
Musée du Quai Branly, Paris, 2007 - 2008

Dans notre société de consommation actuelle les images sont omniprésentes, mais elles sont traitées à la légère. Leur valeur de communication est réduite aux messages primaires. D’ordinaire les images sont utilisées pour manipuler le comportement du consommateur, ou pour nous donner l’illusion que derrière l’image visuellement éphémère se cachent toutes sortes de significations. Ce livre offre non seulement une sélection captivante de l’œuvre photographique de Krystyna Ziach, mais nous conduit aussi dans un monde d’imagerie symbolique. Ce sont des images hors du temps et universelles puisqu’elles émanent de l’imagination humaine, cherchant à trouver une signification à tous les phénomènes régissant le monde et l’univers. Un symbole se présente toujours comme un double, d’une part un aspect intelligible et visible, d’autre part une dimension sous-jacente et invisible à première vue. L’inconnu situé en retrait de sa face visible peut être uniquement abordé de façon intuitive et ne s’exposera jamais clairement et complètement. Un symbole restera effectif pour autant qu’il existe des significations cachées, des suggestions possibles. Le symbole joue le rôle du médiateur entre l’esprit et la matière, la nature et la culture.
La magie des images symboliques réside dans le fait qu’elles racontent plus qu’elles ne montrent, et qu’elles tissent des liens entre des concepts souvent bipolaires, tels que ciel-terre, espace-temps, réalité-irréalité, immanence-transcendance. Le symbole nous rapproche de ce qui semble lointain, et nous éloigne des évidences. Dans sa série photographique Infinity Krystyna Ziach nous montre que le symbole fonctionne avant tout pour un individu ou pour une communauté qui puisse s’y identifier. Ainsi, le symbole favorise la cohésion sociale. Les temples Shinto, les Secret Rooms, avec leur jeu d’ombre et de lumière irréelle, ainsi que les Imperial Gardens élaborés avec une attention et un soin tout particulier, illustrent des aspects fondamentaux de la culture Japonaise. Une culture qui a l’œil pour l’ordre et l’harmonie, toujours en relation intime avec la nature, qui renvoit au lien entre ciel et terre, à l’interaction permanente entre l’humain et le divin. Et puis il y a ce goût pour la répétition, dans ces enchainements de portes et dans l’accumulation des bouddhas qui nous rappelle que le divin se cache en chacun de nous. Avec le vent et la terre, l’eau et le feu forment les quatre éléments de base contenus dans tous les aspects de la vie. Dans beaucoup de cultures nous retrouvons la signification symbolique de l’eau, materia prima, comme source de vie, comme moyen de purification et comme élément de renaissance et de renouveau. L’eau représente aussi le spirituel, la vie immatérielle et par conséquent l’éternité et l’immortalité. Dans tous les rites de purification l’eau a une signification sacrale, elle efface le passé et rend le renouvellement possible. Le feu va toujours de pair avec l’eau d’une façon antagoniste, les deux ayant des connotations de purification et de rétablissement, mais le feu représentant aussi la lumière et par extension l’illumination spirituelle, la passion et l’amour. L’eau est un élément essentiel des séries photographiques Archê et Aqua Obscura. Elles diffèrent des photos précédentes dans le sens qu’elles ne présentent aucunement des situations existantes ou trouvées, mais des mises en scène très personnelles créées par l’artiste. Des goutes d’eau sur des parties du corps et surtout l’eau coulant le long d’un visage, prennent leur origine d’une part dans l’expérience et l’observation personnelles directes, puis l’imagination s’en empare et les transforme en des représentations métaphoriques qui simultanément révèlent et cachent. Le visage est le siège de tous les sens, mais les yeux sont fermés. C’est comme si l’égo intime veut être connu que furtivement et ne veut pas divulguer ses plus grands secrets. La face comme mystère, une porte vers l’invisible, une réflexion troublée de l’intuition intérieure. Dans Aqua Obscura l’eau claire, transparente et coulante a fait place à l’eau stagnante d’un étang, souillée de graines flottantes attendant la germination et de photos portraits du passé. On dirait un gouffre de l’oubli dans lequel les effigies des bien-aimés sont vouées à la disparition. Ce sont les eaux de la mort, mais temporairement, juste pour l’instant, c’est un lieu de mémoire. Krystyna Ziach nous offre des images qui débordent largement du cadre restrictif de la raison. Elles sont ambiguës, n’offrant aucune réponse définitive, toujours à la recherche de nouvelles réinterprétations. Elles se situent hors du temps, favorisant une interaction inévitable entre l’universel et l’individuel, en faisant sans cesse appel à notre imagination. Ses images se réfèrent à l’inscrutable et à l’inexplicable, aux désirs refoulés, à la quête éternelle de l’homme cherchant le sens de sa condition existentielle à travers son expérience émotionelle quotidienne du monde. Des images qui semblent s’offrir d’elles-mêmes en tant que médiatrices entre l’esprit et la matière, la nature et la culture, le conscient et l’inconscient, le rêve et la réalité. Tout à la fois identifiables et surprenantes, elles nous rappellent la brièveté éphémère de notre condition et la fragilité de notre existence. Cependant notre étonnement persiste malgré la vulnérabilité apparente et la mélancolie poétique.