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Krystyna Ziach
A Chamber of Mirrors / Krystyna Ziach par dr. Reinhold Misselbeck, 1994 (French)
Reinhold Misselbeck à été le conservateur de la photographie et nouveaux media du Museum Ludwig, Cologne, DE
photo : A Chamber of Mirrors, installation, Musée néerlandais de la photographie, Sittard, NL, 1994
commissaire d'exposition : Reinhold Misselbeck

La personne qui regarde dans le miroir, s’imagine qu’elle se voit elle-même. Pourtant on sait en fait de compte que la réflexion est une image inverse – elle nous montre les choses à l’envers – et que la personne qui nous fait face n’est pas identique à l’original. Cependant le miroir a évolué au cours de l’histoire de l’humanité jusqu’à devenir un objet avec une valeur hautement symbolique, représentant la vérité, la pureté, mais aussi la beauté. Le regard oblique dans le miroir fait partie de la féminité, tandis que la brisure de notre image dans une glace est le symbole de notre mort. Le miroir représente la fugacité, c’est un symbole de la vanité. Le miroir nous permet aussi de comparer ce qui s’oppose. Dans ses photo sculptures tridimensionnelles Krystyna Ziach pose le miroir par terre, ou en dedans des photographies. La réalité et le reflet de la réalité deviennent comparable, l’image réfléchie permettant la considération sous un autre angle. Dans son œuvre, Krystyna Ziach a toujours montré des dualités, assemblé des contradictions, à fin de nous permettre de former une opinion. Dans les œuvres de ses débuts elle a combiné le physique avec la géométrie, la sensualité avec la science, le concret avec l’abstraction. Elle était fascinée par la recherche de Leonardo Da Vinci sur l’anatomie humaine et confrontait des éléments des ses dessins avec des images de son propre corps. Elle incorporait le corps dans les dessins, créait une unité en mettant une couche de peinture, faisait un effort d’accorder la réalité et la science en dedans de l’image. Quoique la combinaison des recherches du corps humain et des mesures humaines faites par Leonardo Da Vinci ainsi que leur relation avec la géométrie et la mesure universelle ait des racines personnelles et ancrées dans l’œuvre même de Krystyna Ziach, il est néanmoins intéressant de percevoir ce ‘pont vers le passée’ comme une expression du zeitgeist. Si l’on peut dire de la Renaissance qu’elle a découvert l’homme et le corps humain, en a fait l’objet de l’art, et que l’artiste s’est considéré comme le modèle idéal de ce nouveau respect de soi, les années quatre-vingt du vingtième siècle se placent sous le signe d’un échange intense d’idées sur la relation de l’homme avec son milieu social, l’artiste prenant sa propre personne comme modèle dans la figuration ou la présentation de situations, où la relation entre l’homme et la culture contemporaine est examinée dans ses dimensions sociales, philosophiques, psychologiques et sexuelles. Surtout les femmes artistes - de Valie Export, Katharina Sieverding et Nathalia LL, jusqu’à Colette et Barbara Hammann - furent à l’avant-garde de ce mouvement. Dans tous ses œuvres, même s’ils ont beaucoup changé au cours des dix dernières années, Krystyna Ziach a toujours mis l’accent sur la dualité. L’être humain était toujours présenté dans son rapport avec un environnement qui, bien que situé en dehors de la personne même, était néanmoins caractérisé et formé par elle. Dans la série Metamorphosis avec laquelle Krystyna Ziach réussissait sa première percée vers la critique d’art, elle concentrait son attention sur la dissolution du moi, son absorption dans les fonds peints. Ces œuvres évoluaient en grande partie de l’image, faisaient preuve d’expressivité et de spontanéité, développaient leur problématique et leur fondement philosophique dans la réflexion de l’image peint. Dans ces œuvres Krystyna Ziach se montre déjà une représentante précoce de la photographie mise en scène et de la photo performance. Sa combinaison réussie de principes de la peinture et principes conceptuels a transformé l’acte de faire une photo en une pure exécution finale de l’œuvre d’art déjà complété. Pour Krystyna Ziach la photographie est le médium à l’aide duquel elle soude les composants variés de son œuvre - la peinture, la performance, le concept et plus tard aussi l’assemblage et la sculpture - en un ensemble nouveau. A travers la photographie elle peut joindre les éléments hétérogènes et donner à l’œuvre d’art une nouvelle identité. Sa série suivante intitulée Japan était basée sur un séjour de deux mois au Japon et traite de la relation de l’homme avec la religiosité. Le bouddhisme, avec ses racines profondes dans les pensées quotidiennes des gens, l’avait défié d’examiner le problème. De nouveau elle démontre sa capacité de penser en images et, ce faisant, de nous présenter les éléments essentiels de la formulation intellectuelle du problème, tels que l’élément méditatif, l’omniprésence, la transparence et la spiritualité du bouddhisme. Formellement l’élément sculptural fait son entrée dans son œuvre avec le caractère ‘objet’ de l’œuvre Infinity. Même ici, dans cette série, les aspects thématiques sont traités. L’élément expressif, spontané des œuvres de la première période devient moins important que la simplicité, la composition claire, l’esthétique parfaite qui largement caractérisent la pensée japonaise.
Melancholy revient thématiquement à l’élément rationnel, dans le dialogue avec les dessins de Leonardo concernant les mesures humaines, mais confronte cette rationalité de la Renaissance italienne avec l’émotivité allemande, du fait que dans le titre l’artiste nous réfère à la gravure sur cuivre ‘Melancholie’ de Dürer. Ce faisant elle s’associe à la vision de Dürer, qui dans sa gravure relie la clarté de la technique et des moyens visuels avec la mélancolie. Dans ses œuvres Krystyna Ziach parvient à une dualité similaire, du fait qu’elle confronte les motifs de la Renaissance, les dessins géométriques ou les photographies des sculptures de Michel-Ange, avec la peinture gestuelle et coince les corps humains dans des formes triangulaires. Surtout dans Space of Imagination la tension entre le corps plié et la ligne triangulaire fine, à peine perceptible, par laquelle il est bordé, donne la sensation d’une immobilité cruellement douloureuse. La légèreté du dessin blanc géométrique flottant devant l’arrière-plan noir met un accent particulier sur ce contraste de la clarté géométrique et de l’insouciance avec la corporalité animale coincée. Autrement que chez Leonardo Da Vinci, dont les figures humaines fermement définissent la mesure géométrique, la contradiction entre l’esprit et le corps domine dans l’œuvre de Krystyna Ziach comme une expérience plutôt douloureuse. Dans Garden of Illusion Krystyna Ziach retourne à l’esthétique de la série Japan. Les œuvres photographiques individuels sont assemblés en installations, leurs moyens visuels sont réduits et métaphoriques, sa propre personne se retire en dedans de l’image et de ses émotions. Le visage d´une femme en extase, un giron féminin, sont les rares allusions discrètes à l’expressivité de jadis. Dans Garden of Illusion le spectateur doit tenir le rôle, que jouait la personne représentée dans les œuvres de ses débuts. La contradiction immanente de l’œuvre de la première période a été remplacée par la confrontation du spectateur avec l’installation spatiale. La clarté des formes - car la géométrie a maintenant fait son entrée dans les cadres des images - l’irritation par les miroirs, le secret du rideau, l’énigme des contreparties, ne permettent pas d’explications univoques. Alors que les images se reflètent et se multiplient, le spectateur prend seulement conscience du fait qu’il n’est pas en face de copies de la réalité, mais d’illusions de la réalité dont le contenu doit être exploré. Le Garden of Illusion est un endroit où le spectateur doit d’abord définir sa position. Cet endroit est certainement variable et dépend de la personne qui essaye de le sonder. C’est avec juste raison que dans cet œuvre Krystyna Ziacha a choisi le langage de l’objectivité, de la surface froide, du poli esthétique. Des titres tels que The Inside of a Dream et The Curtain of Pleasure ne font que susciter des espérances auxquelles la plupart des photos objets, avec leur apparence froide, ne peuvent et ne veulent répondre. Le portrait d’une femme, le giron féminin, une main, de l’herbe, des surfaces brisés, signalent où la contrepartie doit être arrêter. Leurs titres sont Diary of Desire ou Breathing I and II. C’est dans ces photos noir et blanc discrètes, et non pas dans les Cibachromes avec leurs couleurs brillantes, que se trouvent les références à la vie, à l’émotion. Avec Garden of Illusion Krystyna Ziach semble se défaire de son expressivité d’autrefois et plutôt adopter une position plus conceptuelle et minimaliste. Pourtant il me semble dans une vue rétrospective que son œuvre évolue avec un mouvement pendulaire entre l’émotivité et la rationalité qui à tour de rôle dominent les moyens visuels. Quant au contenu l’accent reste toutefois sur ce domaine, Krystyna Ziach concevant la chose rationnelle, transparente comme contenant la culture humaine, cependant toujours la définissant comme une chose trouvée en dehors du moi réel, en particulier en dehors du moi émotionnel, et par conséquent aussi en dehors de l’épanouissement et de l’assouvissement. Son œuvre est certainement imprégné de cette contradiction et essentiellement par le fait qu’il ne trouve pas son élucidation dans le réel. Il est pourtant remarquable que dans l’œuvre de Krystyna Ziach le rationnel va toujours de pair avec le poli et l’inaccessibilité, tandis que la vie est dans l’émotionnel. En dépit de toutes ses chimères de la beauté parfaite, Garden of Illusion témoigne de la quête du réel, de la vie elle-même.
Traduction : Hanny Keulers