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Krystyna Ziach
Le Japon / Krystyna Ziach, par H. Dalitz, 1988 (French)
Huib Dalitz est un ancien directeur de la Fondation des beaux-arts Amsterdam
photo : exhibition Japan, Arti et Amicitiae, Amsterdam, 1988

Ce n’est pas étonnant que les deux mois que Krystyna Ziach a passé au Japon au début de l’année 1987 ont produit une si vive impression sur elle. Pour une plasticienne de l’ouest comme elle, ayant étudié l’histoire de l’art dans le pays où elle est née et a grandi, la Pologne, avec sa tradition artistique influencée par le constructivisme russe et le surréalisme, le Japon offre non seulement des expériences nouvelles, mais aussi des ajouts aux et une compréhension plus profonde des expériences antérieurs. Dans l’ensemble complexe de la culture japonaise, Krystyna Ziach était surtout fascinée par l’importance prêtée dans cette culture à la beauté et l’artificialité, étroitement liées l’une à l’autre, et à la notion de la force spirituelle, à laquelle on donne la primauté, surtout dans les religions japonaises telles que le shinto et le bouddhisme zen. Ces notions constituent le point de départ pour les œuvres présentées ici, qui nous donnent ses impressions intuitives du Japon et de la culture japonaise. En créant ces œuvres elle a évidemment puisé aux sources de sa propre culture, sa propre tradition et son propre langage visuel artistique. Les œuvres présentées ici réfèrent directement aux temples, aux sculptures bouddha, aux jardins zen et aux théâtres Nô et Kabuki, qui tous expriment spécifiquement les notions de la beauté, de l’artificialité et de la spiritualité.
De toutes les religions représentées au Japon, le shintoïsme, le bouddhisme, le bouddhisme zen, le confucianisme et le christianisme sont les plus importants, le premier étant le plus vieux et, avec le bouddhisme zen, le plus caractéristique du Japon.

Le Shinto
Le Shinto est un système religieux où, plus précisément, une pratique religieuse de rites, qui dérive probablement du culte de la nature pratiqué par les peuples les plus anciens vivant au Japon. Le shinto est basé sur un sentiment de déférence pour chaque phénomène naturel remarquable, tel que la croissance capricieuse d’un arbre, la forme baroque d’un rocher ou d’une cascade. Toutes les choses qui inspirent la déférence sont désignées par le mot ‘kami’, ce qui peut se traduire par ‘Dieu’ ou ‘sublime’. De ce fait ‘shinto’ veut plus ou moins dire ‘le chemin du kami’, ou ‘le chemin des dieux’. Selon le shinto toute chose a un ‘kami’, une force spirituelle, attribuée à des qualités telles que la croissance et la fertilité, ainsi qu’aux phénomènes naturels tels que le vent, le soleil et les montagnes, mais aussi aux notions telles que ‘justice’ et ‘ordre (politique)’. Surtout à cause de ces dernières possibilités d’utilisation, le shinto est encore actuel et a aussi une importance politique. La croyance en ‘kami’ s’exprime par la vénération des objets et des endroits auxquels des kami importants sont attribués et pour lesquels des temples ont été édifiés sur place. Les entrées aux sanctuaires sont généralement indiquées par ce que l’on appelle ‘torii’, portes, qui souvent consistent en des simples colonnes et traverses en bois, mais qui peuvent aussi être décorés et laqués de façon extravagante. Ces portes, parfois alignées l’une après l’autre, marquent littéralement la limite entre un espace profane et un espace sacral. Dans le triptyque The Way of the Sacred Spirits, Krystyna Ziach a représenté les torii du temple d’Inari sur le panneau central, flanqués des deux moitiés d’une figure humaine entourée ces figures semble symboliser le voyage du profane vers le sacré, par le contraste des habits avec la nudité.

Le Bouddhisme Zen
Selon la tradition, le bouddhisme zen a été développé quand bouddha, ayant été demandé de parler du dharma (ce qui se traduit grosso modo par ‘ordre cosmique’), montrait une fleur de lotus sans mot dire. C’est un exemple caractéristique de la façon souvent silencieuse dont le zen tente de créer la conscience, l’illumination spirituelle. Dans les arts zen, tel que le Haiku, les jardins zen et le théâtre Nô, ceci s’exprime par une abstraction extrême qui ramène les images à l’essentiel, en supprimant le superflu. Un bon exemple de cela sont les jardins zen, tel que le jardin célèbre de sable et de pierre Ryôan-ji. Les jardins zen ne sont pas un but en soi, mais sont surtout conçu comme un moyen de méditation et de contemplation. Ces jardins sont fondés sur des dessins à l’encre de paysages chinois importés au Japon autour de 600 ap. J.- C. Ces dessins dans le style Sansui (ce qui veut dire littéralement ‘les montagnes et l’eau’) représentent des montagnes très élevées, avec des précipices embrumés et souvent quelque part en bas des figures humaines minuscules. D’une part ils expriment la vénération de la nature, d’autre part ils montre l’insignifiance de l’être humain dans le Grand Schéma de la nature. Selon les mêmes principes les jardins zen ont été construits dans un effort de réaliser – dans l’espace le plus petit possible et avec comme éléments de base les pierres, les arbres et l’eau - une composition qui d’une part est totalement artificielle, souvent même abstraite, mais qui d’autre part représente quand-même la notion d’un monde complet et harmonieux. Une idée similaire est exprimée par Krystyna Ziach dans son œuvre The Artificial Beauty of the Imperial Gardens, une œuvre située dans ces jardins à Tokyo dans laquelle elle présente sa personne comme faisant partie de la structure d’un arbre.

Les théâtres Nô et Kabuki
Le Kabuki et le théâtre Nô, respectivement à considérer comme théâtre populaire et théâtre pour l’élite (zen), se caractérisent tous deux par une grande stylisation et l’usage de formes strictes. Le théâtre Nô, basé sur les fondements du bouddhisme zen, est construit autour d’une danse dans laquelle on tente d’exprimer une seule émotion, telle que la haine, l’amour ou le chagrin. Cela se fait par l’utilisation de la figure humaine et du mouvement, dans une série de poses presque sculpturales, qui doivent créer une intensité croissante de l’émotion exprimée. Les acteurs masqués ne se servent pas d’une structure narrative claire, tout aussi peu que les idées zen sont exprimées à travers la logique quotidienne du langage. Dans le théâtre Kabuki la psyché des protagonistes de la pièce est interprétée plus au moins de la même façon.
Il y a une structure narrative plus marquée et la forme choisie offre aux Européens plus d’associations avec la Comedia dell’Arte. Mais comme le théâtre Nô, le Kabuki est également très stylisé. Les moyens d’expression se composent de formes traditionnelles, appelées ‘kata’, prescrites pour chaque rôle et chaque pièce. Il s’agit ici aussi d’une ‘expression presque glacée’, dont le caractère traditionnel rend la pièce plus reconnaissable et plus accessible pour le spectateur. Le réalisme est réduit le plus possible et l’accent est surtout sur la beauté de la forme. C’est justement par les longues traditions, dans lesquelles se cristallisent les formes pour devenir des patrons ‘kata’ établis, que le théâtre obtient le caractère d’un rite. L’importance que ces traditions sont considérées avoir et la valeur attachée au théâtre Kabuki au Japon, sont d’une forme kimono. Comme les huissiers en pierre que l’on trouvait souvent à côté des torii japonaises, illustrées pas le fait que les acteurs sont le plus souvent descendants de quelques familles d’acteurs et sont parfois qualifiés d’être des ‘monuments nationaux vivants’. Dans The Splendid Decadence of Kabuki Krystyna Ziach a donné corps à quelques-unes de ces idées et a ainsi établi un rapport avec son œuvre antérieur, dans lequel la fascination pour le théâtre et la stylisation de la forme humaine sont exprimées.

La beauté et l’artificialité
Dans les arts japonais, du Haiku à l’arrangement floral Ikebana, la forme esthétique joue un rôle important. La tendance vers la tradition et l’abstraction aboutit à ce que la beauté est réduit aux formes presque formelles. Il est remarquable que le naturel est d’abord recréé et transformé. La pure beauté de la forme est donc au plus haut degré artificielle.

Krystyna Ziach
Chaque œuvre d’art réfère plus au moins directement à son créateur. Après tout, le choix du sujet, de la couleur et de la composition, ainsi que la décision d’exposer sont personnels, même s’ils peuvent être fait et pris au-dedans de traditions qui réduisent la contribution de l’individu au minimum. L’autobiographique peut être d’intérêt secondaire, par exemple si l’artiste essaie d’enregistrer la réalité le plus objectivement possible c.-à-d. le moins personnel possible - ou essaie de façon formelle de trouver la solution d’un problème compositionnel. Mais l’œuvre de Krystyna Ziach est très personnel, si ce n’était que parce que souvent elle figure elle-même dans les décors qu’elle a créés. Ses œuvres antérieures souvent présentent des situations théâtrales, qui réfèrent aux sculptures monumentales de Michelangelo, telles que Baroque (1985) (Camera International, 1986, nr 6), ou à Francis Bacon dans son Studies on Bacon (1986). Même si Krystyna Ziach s’est photographiée elle-même dans ces œuvres, elles ne traitent pas en premier lieu de sa personne, mais d’une forme, d’une idée qui prend corps par l’insistance sur le théâtral et par suite l’abstraction de l’individuel. Cette transcendance de l’individuel est soulignée par le fait que son corps est souvent partiellement couvert de peinture et ainsi absorbé dans l’arrière-plan ou intégré dans le décor avec des morceaux de toile ou de papier. Des exemples de cette méthode de travail se trouvent aussi dans quelques œuvres présentées ici, telle que Ikebana et Black Rain. Cette esthétique n’aboutit pas à des œuvres impersonnelles, au contraire, elles expriment une grande intensité et surtout physique. Après tout ce n’est pas par hasard qu’elle se représente dans de telles situations ‘performance’. Dans le contexte de son œuvre antérieur ce n’est pas étonnant que, dans son initiation au Japon et à la culture japonaise, elle soit surtout fasciné par la façon dont le paradoxe entre le pathétique et la stylisation est résolu dans les différentes formes d’art et qu’elle nous relates ces faits de sa propre façon.
Traduction : Hanny Keulers