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Krystyna Ziach
Parfois une photo dit moins que 1000 mots, Boîte de Pandore (French)
Texte par Hans Rooseboom, 2012, conservateur pour la photographie au Rijksmuseum Amsterdam
Fotografisch Geheugen no.76, Association néerlandaise de la photographie, magazine, NL
foto : Inner Eye I, collection Rijksmuseum Amsterdam

Quand en 2009 la revue Volkskrant Magazine existait dix ans, ce fait fut célébré avec la publication du livre Andere ogen (Autres Yeux), qui présentait une sélection des plus de 15.000 photos étant parues dans les 469 numéros de la revue. Ce ne sera pas une surprise que la préface ainsi que l’introduction parlaient des photos en termes élogieux. La sélection avait été faite par l’éditeur d’images Theo Audenaard, qui écrivait qu’il s’était limité aux portraits étant parus dans la revue : “Non seulement nous en avons publié un grand nombre, mais il semble que nous l’avons bien fait ; nous avons réussi à créer des adeptes.” L’orateur de la fête Hans Aarsman disait dans la préface que la revue Volkskrant Magazine contenais “possiblement la photographie la plus audacieuse des Pays-Bas.” Pas étonnant alors que le livre a été sous-titré 10 ans de photographie opiniâtre aux Pays-Bas. Audacieux, opiniâtre, cela pourrait être vrai, mais ce que j’ai surtout remarqué en feuilletant ce livre –et c’est encore l’autre extrême- c’est qu’il n’y a presque pas une photo normale dedans.Presque toutes les photos montrent une chose particulière : Freek de Jonge est jusqu’aux genoux debout dans l’eau, Brigit Schuurman tient une chatte ou un matou rouge entre ses jambes écartées, Hans Teeuwen est debout à côté d’un grand ours en peluche, Gerda Verburg descend un escalier en courant, et cetera, et cetera. Et si ce n’est pas la pose, la situation ou l’attribut, c’est le style de photographier ou d’imprimer qui se fait remarquer : Stefan Vanfleteren, Anton Corbijn et Erwin Olaf ont après tout une “main” très reconnaissable. On l’a vu avant dans les revues, que les photos semblent éclater de la page. Une revue qui veut attirer l’attention se servira aussi de photos saillants pour l’obtenir. Un exemple classique est la fameuse revue américaine Life, fondée en 1936 par Henry Luce. Il savait combien le public adorait regarder les images dans les revues et c’est pourquoi il avait l’ambition de faire “the damnedest best non-pornographic look-through magazine in the United States.” Dans Life, qui existait comme hebdomadaire jusqu’en 1972, beaucoup de photos sont parues visualisant des sujets spectaculaires qui n’étaient montrés nulle part ailleurs, ou attirant le regard avec leur complexité technique et/ou leurs angles de prise de vue insolites. Luce ne voulait surtout pas que Life soit insipide. Durant ces mêmes années trente où Life fut fondée, une révolution eut lieu qui changea la photographie à tout jamais. Une jeune génération de photographes était à la recherche de nouvelles façons de représenter le monde. Ils introduisaient les angles de prise de vue extrêmement hauts ou bas, les découpages et les gros plan et ressuscitaient le photomontage, le photocollage et le photogramme. Des livres tels que Malerei Photographie Film (Peinture Photographie Cinéma) de Lászlò Moholy-Nagy (1925) et Foto-Auge (Photo-Œil) de Franz Roh et Jan Tschichold (1929) offraient une large sélection des précités et autres moyens de mise en images expérimentaux. Cette révolution a fait beaucoup de bien par rigoureusement en finir avec le pictorialisme périmé qui avait survécu à sa propre utilité. Plusieurs photos qui ont été faites avec les moyens de mise en images propagés dans ces livres, sont des apogées indéniables de l’histoire de la photographie. Mais toute médaille a son revers. Très vite –encore dans les années trente– les angles de prise de vue extrêmes, les découpages et les méthodes de travail aliénantes devenaient un “maniérisme”. Tout photographe voulant être à la dernière mode suivait les recettes de Moholy-Nagy cum suis. Non seulement cela menait à un épigonisme anémique et ambigu, mais aussi à l’inflation. Dans le grand et croissant nombre de journaux et revues des années trente étant illustrés avec des photos –lentement mais irrévocablement le dessin perdait du terrain– ces angles, découpages et techniques qui hier encore étaient nouveaux et surprenants, devenaient évidents et même stéréotypés. Que dans les livres de Moholy-Nagy et des autres il n’y avait pas de photos ordinaires est encore concevable : à l’époque le nouveau devait être introduit et l’obsolète contesté. Il semble pourtant que la prédilection pour les photos insolites est devenue impérissable. Il semble toujours y avoir une tendance indéracinable à faire une chose singulière, inattendue, “différente” des autres. La collection complète de Life et le bilan de dix ans de la revue Volkskrant Magazine ne sont que deux cas pouvant servir d’exemple. Il y a à peine un portrait dans Andere ogen où rien ne détourne l’attention du visage. Il y a toujours une grimace, un drôle de chapeau, ou une autre absurdité. Un portrait “pure” de rien d’autre que le visage ne suffit clairement pas. Avec toute cette rhétorique visuelle qui a pénétré la photographie depuis les années trente, il serait de nos jours plus tôt “audacieux” de créer un portrait pudique, calme, qui ne veut pas épater, un portrait qui n’a besoin de rien que la personne représentée.
Récemment le Rijksmuseum a obtenu une donation de deux portraits qui sont si simples, qu’un des employés du musée, bien que habitué à (devoir) traduire en paroles les qualités d’une photo, en était brièvement réduit au silence. Pourquoi ces deux portraits, Mayumi I et Mayumi II de Krystyna Ziach, sont-elles si bons ?Chez les portraits aux attributs singuliers, avec des poses et cetera, l’usage de mots tels que ”audacieux” et “opiniâtre” est évidents, mais ils ne sont pas applicable ici (mis à part le fait qu’ils ne sont souvent que des notions creuses). Les deux portraits de Ziach nous montrent deux fois la même femme, photographiée de face. Seulement son visage, ses cheveux noirs, ses épaules nues et un arrière-plan bleu sont visibles. Ses yeux sont fermés, ce qui ne fait qu’accentuer l’impression de calme. La couleur bleu de l’arrière-plan est neutre, mais en même temps assez chaude pour éviter que les portraits deviennent arides comme les photos d’identité agrandies de Thomas Ruff. Si l’on quitte la photographie pour un moment et l’on regarde des portraits faits dans d’autres techniques, l’efficacité d’une telle extrême simplicité devient évidente. Prenant par exemple le portrait d’une fille dessiné par Leendert van der Cooghen en 1653. Ce n’est que le visage qui a été détaillé et accentué avec de la craie rouge, alors que du bonnet, de la gorge et des épaules seulement les contours ont été esquissés, une “astuce” classique pour faire en sorte que toute l’attention aille au visage.
Nous nous trouvons face à face avec le XVIIe siècle. Ce portrait de 350 ans nous prouve que, même après tant d’années, la simplicité absolue ne perd rien de sa force, mais au contraire intensifie l’émotion et la vigueur.
Traduction : Hanny Keulers