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Krystyna Ziach
Mélancolie - le drame entre la raison er l'émotion, par Mirelle Thijsen, 1990 (Part I)
Mirelle Thijsen est historienne de l'art et ancienne critique d'art pour le quotidien néerlandais
Het Financieele Dagblad
photo : Melancholie / Krystyna Ziach, catalogue, 1990

Mélancolie – le drame entre la raison et l’émotion

La diversité infinie de la psyché humaine fut pour la première fois subdivisée en quatre tempéraments par les Grecs. Au 5ième siècle av. J.-C. Hippocrate établit que la santé mentale humaine était déterminée par l’équilibre entre les quatre humeurs : le sang, le flegme, la bile jaune et la bile noire. Aristote partit de l’idée platonique que la manie était la source originaire des plus grandes créations mentales. Selon lui la force formatrice du caractère, leur étant inspirée par la manie, fut déterminée par la bile noire produite par la vésicule. Aristote fut le premier à établir un rapport entre un talent exceptionnel dans les arts et les sciences et un caractère mélancolique ; un rapport entre le génie et le ‘homo melancholicus’. Au Moyen Age et dans la Renaissance les tempéraments furent reliés à la psychologie. La prédominance d’une des humeurs teintées aboutirait respectivement à un caractère sanguin, flegmatique, colérique ou mélancolique. La bile noire, raisonnaient les gens à la manière d’Aristote, donnerait de l’équilibre et de la modération à une personne, qui serait en même temps en état de faire des exploits et qualifiée d’être mélancolique (melanos = noir). Au 15ième siècle ce fut Marsilio Ficino (De Vita Triplici, 1482) qui avidement reprenait la vision d’Aristote et associait le tempérament ambivalent de ceux qui étaient né sous le signe de Saturne avec la manie divine de Platon. Saturne est la planète de l’agriculteur, du fossoyeur et du mélancolique. Ainsi un caractère mélancolique est saturnien, c’est-à-dire amer, cru, sec et sombre de nature. Saturne est caractérisée par une instabilité et une polarité prononcées, les qualités qui tourmentent également le mélancolique. D’une part il excelle en fidélité, un esprit éclairé et s’adonne à la contemplation, d’autre part il tombe dans la stupidité, la lenteur et la tromperie. Saturne porte le nimbe sinistre et sublime : le mens contemplarix lui a été confié.

Le caractère mélancolique

Dans On Melancholy Timothy Bright donne une caractérisation tranchante de la disposition d’esprit du tempérament sombre : “Il est froid et sec, avec une tendance vers la dureté, ferme dans son opinion, méfiant, dans l’affection triste et plein d’angoisse, pas facile à réconcilier, envieux et jaloux et PASSIONNÉ hors mesure. De ces dispositions de l’esprit et du cœur découlent le solitaire, en deuil et cherchant le plaisir dans l’obscurité”. Tandis qu’au Moyen Age on mit l’accent sur les traits négatifs et moralistes du morbus melancholicus, en revanche durant la Renaissance la force créatrice géniale de l’être humain fut associée avec l’aspiration à la gratification religieuse, formant une unité avec elle. La furor melancholicus régnait en maître. Dedans les formes d’expression de la melancholia furent intégrées hiérarchiquement : l’imaginatio (l’imagination : I), la ratio (la raison : II) et le mens contemplarix (l’esprit songeur : III). Selon Cornelius Agrippa ce furent les trois niveaux de l’imagination, le plus haut étant l’imaginatio (l’intuition, l’imagination abstraite). L’artiste faisait des tentatives dramatiques pour atteindre ce niveau, mais le plus souvent ne dépassait pas le niveau de la visualisation géométrique. La furor melancholicus couvrit le domaine entre les choses terrestres et l’univers, entre la vérité religieuse et la contemplation mystique. Ainsi durant le 16ième siècle, l’Europe vit une vague de comportement mélancolique – ce qui ressemble au concept romantique du Weltschmerz – mais l’artiste mélancolique se démoda au 17ième siècle. Les maîtres tels que Bernini, Rubens, Rembrandt et Velasquez ne furent jamais dépeints comme des mélancoliques. Ce n’est qu’à l’époque du Romantisme, avec des artistes tel que Casper David Friedrich, que la mélancolie revint comme une condition de catharsis mentale et émotionnelle.Par la caractérisation d’un artiste comme un mélancolique, le point de vue aristotélicien et ficinien fut implicitement accepté. Ainsi la mélancolie fut encore considérée comme le tempérament des créatures contemplatives au milieu du 19ième siècle. L’artiste de l’Europe du Nord qui répondit le plus à la conception du 16ième siècle de la furor melancholicus était Albrecht Dürer. Nous trouvons preuve de son analyse de caractère dans sa taille-douce fameuse : Melencolia I. Le numéro ‘I’ relève du plus haut niveau de l’imagination abstraite d’Agrippa susmentionné ; le niveau inaccessible, absolu est représenté par Dürer. Cet œuvre incarne l’idée saturnienne-mélancolique. C’est que Dürer représente le noble mélancolique ; le créateur songeur dans son isolement et sa solitude nocturne, plongé dans ses réflexions, en attente d’inspirations éclairés.

L’art et la géométrie

Les sept arts libéraux furent attribués aux sept planètes. L’astronomie, le plus haut et le plus certain des arts libéraux, revenait à Saturne. Le principe de ‘bien ordonner’ est caractéristique des professions typiquement saturniennes, c’est-à-dire les professions fondées sur la géométrie. La géométrie fut le cinquième art libéral et la science par excellence du 16ième siècle et de Dürer. “Je prendrais la mesure, le nombre et le poids comme objectif”, disait Dürer. Et avec cet objectif il avait en vue le concept de l’art, dans le sens de la raison, la géométrie, la perspective et la ressemblance. En fait, la Mélancholia ailée est sa personnification équipée des symboles de la profession (l’échelle, le polyèdre, les fournitures de bureau, la boussole et le carré numérique) et des attributs de la mélancolie (la couronne, l’abaque magique et la facies negra). Ses pensées et ses actions se déroulent sur un niveau de ‘spatialité. Car dans le contexte de la perception de l’espace, des découvertes théoriques étaient faites et les arts manuels obtenaient des résultats mathématiques et pratiques. La typus geometriae est souvent représentée avec les attributs pratiques de ses découvertes théoriques – avec un compas, un sextant, une boussole etc. – et ressemble beaucoup à la personne ailé dans Melencolia I.Dürer rendit hommage à la mathématique, mais reconnut aussi ses limites. Plus que la moitié de sa vie il étudia l’art de la mathématique et conclut qu’elle ne donnerait jamais la gratification d’une révélation métaphysique et religieuse. Il était sûr que la mathématique ne mènerait pas à la beauté absolue. “Mais ce qu’est la beauté, je ne sais pas”, il écrivit conscient de ses propres limitations. En fait, Dürer fut le premier artiste de l’Europe du Nord qui éleva la représentation du tempérament mélancolique à un niveau fondamentalement autre et allégorique. Si l’on peut croire E. Panofsky, Melencolia I est en fait un autoportrait de l’état d’esprit de Dürer lui-même. L’exaltation divine du génie mélancolique ne lui était pas étranger. Dürer a surtout voulu représenter la polarité, l’essence de la mélancolie ; l’équilibre précaire entre la productivité passionnée et l’apathie absolue. La description d’Agrippa de la mélancolie dans son Occulta Philosophia cadre parfaitement avec la taille-douce de Dürer. Il disait : “La Mélancholia est créative et sombre en même temps dans la dépression, elle est prophétique et directement captive de ses propres limitations”. La taille-douce de 1514 est aussi le reflet de l’esprit de la fin du Moyen Age ; troublé par des visions apocalyptiques, fortement fasciné par l’astrologie et en poursuite du non-substantiel ; du sublime. Elle est en même temps le produit d’une lutte désespérée entre les réflexions sans fin, le mécontentement et l’obtention hésitante de résultats dans la perspective et l’architecture. Melencolia I est universelle et un exemple typique d’une idée abstraite, symbolisée dignement dans la figure humaine ; la concordance entre l’abstraction et une image concrète.
Dans ses œuvres photographiques Krystyna Ziach exprime également le Suprême en termes de l’ordre rationnel, fondé sur la redécouverte de la signification du Sublime dans l’art. Comme Dürer au début de la Renaissance, elle travaille après l’exemplum, en termes de la tradition et secondairement après la réalité. Seul les traces d’une recherche de la perspective nous renvoient à cette intention d’égaler un réalisme pictural. Les exemples classiques de Dürer, Da Vinci et Malevich ne sont pas réinterprétés dans le sens d’être copier, mais sont modifiés avec maintien du caractère idéal du prototype. L’aspiration à l’Absolu – au ‘ squelette de l’infini’ comme le disait si bien Ernesto Sabato – que ses grand maîtres avaient en commun et la passion sur laquelle elle était fondée, sont d’une importance primordiale pour Krystyna Ziach. C’est ce drame mélancolique entre l’émotion et la raison qui la fascine, et pas les essais théoriques qui justifient les découvertes. Comme les génies de l’histoire de l’art susmentionnés, Krystyna Ziach est obsédée par les proportions, et elle vise d’une part à une clarté parfaite, à l’ordre, à la beauté et à la méticulosité, tandis qu’elle est par ailleurs attirée par les phénomènes irrationnels, subjectifs et fantasmagoriques. Dans sa série, pour cette même raison intitulée Melancholy, elle a réalisé des transformations de
graphiques scientifiques abstraits en images avec un caractère archétypique. Mais la condition psychologique de ses modèles, exprimée par leur mimique et leur gesticulation, est souvent loin d’être mélancolique. Elles personnifient des tensions dans un décor monumental anachronique, plein d’attributs et de reliques anatomiques et géométriques. Ensemble les œuvres Transparant Body, Atlas of Atonomy et Human Geography constituent un triptyque. Ces œuvres sont fondées sur les études scientifiques, anatomiques de Leonardo Da Vinci. Da Vinci aussi concorde avec la tradition de l’artiste mélancolique et scientifique : sous le charme de la furor melancholicus. On accord avec l’interprétation positive classique durant la Renaissance, ce caractère était en effet de nouveau associé avec le génie, au lieu d’avec une condition pathologique.