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Krystyna Ziach
Mélancolie - le drame entre la raison er l'émotion, par Mirelle Thijsen, 1990 (Part II)
Mirelle Thijsen est historienne de l'art et ancienne critique d'art pour le quotidien néerlandais
Het Financieele Dagblad
photo : Odalisque, Mélancolie, 1989-1990

/.../ Dans ses expériences anatomiques, Léonardo s’efforça de s’emparer de ‘l’esprit’ d’un être humain après la mort, en faisant l’autopsie immédiatement après le décès de la personne. Dans ce triptyque Krystyna Ziach a fait des collages de l’image du homo universalis de Da Vinci, ainsi que de dessins de membres préparés et de fœtus flottants. Des fragments créés par le génie de la Renaissance sont utilisés comme des objets trouvés. Le caractère archaïque de l’œuvre est renforcé en appliquant de la sépia sur les collages et il semble y avoir des traces de sang dans quelques coups de rouge. Puis elle au fond fait don de son propre corps à la science médicale occulte, dans la pose frontale du homo universalis placé dans un mandala. C’est en fait le leitmotif de la série, non pas à interpréter comme un apogée esthétique, mais comme l’expression de l’aspiration scientifique et passionnée à l’Absolu, à l’infini. L’exécution des lignes, la quête du seul point de fuite, est aussi lié avec cette impulsion et est maintenu vivant par Ziach à travers toute la série. Qu’il existe un rapport mutuel entre les œuvres ressort du choix des prototypes fait par Ziach pour la série Melancholy. Dürer, Da Vinci et Malevich sont des mathématiciens, poussés par la passion, épris par le conceptuel, se tenant au bord du génie et obsédés de l’impondérable ; la beauté divine, l’infini et la suprématie absolue. Black Cross of Malevich renvoie à la forme idéale : le carré magique, l’icône religieuse de l’univers. La croix noire est la somme de cinq carrés noirs et symbolise d’après Malevich le sentiment pure. L’arrière-plan d’un blanc chaud, qui en fait se compose de quatre carrés, reflète le néant. Dans le décor peint monumental de la croix noire Ziach situe son modèle (qui physiquement se distingue à peine d’elle-même) et comme un homo universalis anachronique elle porte le carré noir magique sur son ventre. Melencolia I de Dürer est évidemment le prototype pour Melancholy after Dürer. Les formes qui renvoient à l’obsession de l’artiste de l’Europe du Nord avec la géométrie, sont représentées en dedans d’un univers cosmique noir. Les éléments de base, tels que le polyhédron complexe, le cercle, l’échelle – faisant référence à un bâtiment en construction – et le carré magique avec les chiffres – qui rend très séduisant une association historique avec le carré magique religieux de Malevich – sont les attributs géométriques et astrologiques d’une Melancholia nue et très crispée. Très intuitivement Ziach choisit des éléments de la taille-douce de Dürer qui deviennent des archétypes essentiels dans sa visualisation ardente des dimensions idéales et de l’aspiration à l’ordre. Le miroir, un élément dominant qui retourne constamment à travers toute la série, renvoie toujours à la nature caractéristique, introverti et narcissique, de l’artiste. Le miroir surgit pour la première fois dans Infinity de la série Japan (1987), le miroir étant essentiel dans la culture de ce pays et lié à l’imagination infinie des dieux. Le miroir renvoie en plus à la confusion, concordant avec la tradition du caractère mélancolique, et dans les œuvres Odalisque, The Image of Deception et Irrational Space avec la tradition du trompe-l’œil, l’illusion de l’espace et de l’infini dans l’art. La forme de l’odalisque est presque un cliché thématique dans l’histoire de l’art, mais Ziach analyse la forme conceptuellement et associe la pose anatomique avec la forme géométrique de la pyramide.
Dans Divina Proportione le carré magique surgit de nouveau, maintenant comme un arrière-plan rouge criard mais digne pour le homo universalis qui, pour ainsi dire, flotte sur le sang coagulé de Saura et s’empêtre dans une constellation cosmique de lignes perspectives. Dans l’œuvre Human Geography Ziach entame un dialogue et cherche l’intervention des proportions humaines universelles d’après Da Vinci. Dans Divina Proportione elle intègre la connaissance d’un genie du 16ème siècle avec les théories suprématistes de Malevich, afin de créer un moulage contemporain de l’Absolu dans les proportions anatomiques idéales. Model for Flying Machine est de nouveau un triptyque, fondé sur les idées de génie et les dessins de Leonardo Da Vinci d’un aéroplane qui – selon la tradition du mythe classique d’Icare – permettra à un être humain de voler. Ziach fait une analyse d’image abstraite et conceptuelle d’un thème littéraire. Les ailes construites dans les panneaux latéraux sont en fait des agrandissements de reproductions d’une configuration similaire faite d’après des dessins de Da Vinci. De nouveau l’original est utilisé comme un objet trouvé. Cette invention ainsi que sa vivification par Ziach reflète de nouveau l’impulsion irrésistible du caractère mélancolique de tendre vers l’Impossible, vers l’Inaccessible. Dans son essai The Unknown Leonardo Da Vinci (The Writer and his Fantasies, Buenos Aires 1976), Ernesto Sabato décrit la double vie de Leonardo. D’une part l’illustre bohémien de la Renaissance, d’autre part le penseur solitaire ‘qui aspire à l’Absolu, au squelette de l’infini’ dans son laboratoire d’inventions. La passion et l’émotion qui sont à la base de cette aspiration rationnelle constituent chaque fois de nouveau la vraie source d’inspiration pour Krystyna Ziach. L’aspiration désespérée et mélancolique à l’Absolu qui s’exprime dans ses recherches anatomiques et géométriques la fascine énormément, ainsi que la capacité du mélancolique de poser des questions plutôt que de donner des réponses. La couleur inhérent au caractère mélancolique est noir. Bien que la série Melancholy est imprimée en couleurs, l’œuvre est principalement fondé sur les non-couleurs monochromes noir et blanc. Le noir a parfois des reflets d’un bleu profond, le blanc tire parfois vers le rouge typique de l’aube, mais en fait le rouge primaire et une nuance chaude de sépia sont les seules couleurs discernables, le coloris sépia étant imprégné de l’atmosphère des études de Leonardo Da Vinci. Dans Space of Imagination la recherche de l’illusion de l’espace est continuée, notamment en permettant de nouveau les miroirs de créer la confusion dans une mise en place rationnelle. Un modèle qui pose en position fœtus est coupé – par une ligne horizontale, la séparation symbolique de l’imagination – de toutes sortes d’éléments géométriques au-dessus d’elle qui, quant à eux, constituent l’image of imagination. Peut-être le rêve du mélancolique contemporain crée de telles visions, de la même façon que, d’après Goya à la fin du 19ième siècle, le sommeil de la raison engendre des monstres. Dans son œuvre antérieure Calligraphy de la série Metamorphosis (1984-1985), Ziach avait déjà montré sa fascination avec les formes et les symboles des sciences de la géométrie et de l’astrologie, séparés de leurs fondements théoriques ; tandis que Geometry de la même série pouvait être interprétée comme une sorte d’aura intuitive, un présage des recherches des dimensions spatiales et anatomiques idéales dans la série Melancholy.
Peut-être Krystyna Ziach a donné une forme photographique à l’obsession de Robert Burton, qui en 1621 écrivait dans son livre The Anatomy of Melancholy: “I write about Melancholy, by being busy to avoid Melancholy…..”.
Traduction : Hanny Keulers