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Krystyna Ziach
A Garden of Illusion par Iris Dik, 1993 (French)
Iris Dik est un critique d'art qui vie à Amsterdam
photo : A Garden of Illusion, installation, Ram Gallery, 1993, Rotterdam, NL

“Supposons que vous preniez un miroir et le portiez tout le temps avec vous, où que vous alliez. Vous seriez capable de prestement créer un soleil et tout ce qui est au firmament, prestement une terre, vous-même et les autres créatures vivantes et en outre toute chose de nature artistique et naturelle”, déclara Socrate dans La République de Platon, afin de corroborer son assertion que nous devons pas du tout être tous des peintres pour être capable d’imiter le monde.
On dirait que Krystyna Ziach a pris le raisonnement de Platon à cœur. Dans sa nouvelle série de photos A Garden of Illusion, les éléments picturaux expressifs, qui jusqu’à présent caractérisaient ses photographies par-dessus tout, sont ostensiblement absents. On note aussi l’absence de la photographe elle-même comme modèle et protagoniste principale.
En remplacement on voit dix détails agrandis d’images simples, imprimées respectivement en teintes sépia et bleu. Les photographies ont été mises dans des cadres tridimensionnels en formes géométriques. Au-dedans des photos, à leur côté ou par terre, ont été placés des miroirs en formes variées. Tandis que l’œuvre photographique antérieur de Ziach référait principalement à l’art de la peinture, offrant une perspective d’un espace illusoire au-dedans du plan, maintenant la conquête sculpturale de l’espace (d’exposition) lui-même a commencé. Avec reconnaissance Ziach se sert de la panacée de Platon, le miroir, non seulement comme un élément mimétique, mais aussi comme un élément pour structurer l’espace. Cette évolution dans son œuvre n’a rien d’étonnant, vu sa formation initiale de sculptrice.
Toutes les photographies ont été imprimées monochrome, cinq en bleu et cinq en sépia, ce qui est la manière dont Ziach fait la différence entre les signes célestes et terrestres, entre rêve et réalité. Par cette division elle joins, peut-être involontairement, deux significations traditionnelles du miroir dans une œuvre. Initialement le miroir était le symbole de la vérité pure du divin, utilisé également comme un symbole pour Marie et les anges. Plus tard par contre, il devenait l’attribut d’un des sept péchés capitaux, Vanitas (la vanité). Et dans les mains de la déesse Vénus, tel que dans les peintures de Rubens et Titien, il symbolise le désir. A Garden of Illusion est un jardin artificiel où le ciel et la terre, le spirituel et le sensuel, se reflètent à l’infini.
Dans sa conférence ‘The Nightmare’, Jorge Luis Borges nous raconte deux de ses plus mauvais rêves, dans lesquels il se trouve respectivement dans un dédale et dans un cabinet aux miroirs. Dans le premier rêve il se trouve au début d’un labyrinthe infini. A travers les lézardes dans le mur, il essaie en vain d’entrevoir le minotaure dans le centre, mais même s’il continue à marcher pour toujours, il ne trouvera jamais son refuge. Dans le prolongement de ce rêve de confusion et d’infinitude se trouve la deuxième situation, où Borges est enfermé dans une chambre circulaire reflétée ; c'est-à-dire une autre sorte de labyrinthe. Cette fois-ci un labyrinthe où - par contre - il peut voir tout, mais ne peut pas avancer d’un pouce. Ici l’écrivain est confronté à lui-même comme s’il portait un masque. Il craint que s’il ôte son masque, sa vrai nature sera révélée, ou une maladie odieuse se manifestera.
Le jardin des illusions de Krystyna Ziach n’est pas aussi effrayant, parce que l’observateur n’y est pas un captif, mais libre de se mirer en d’innombrables variantes et de s’encadrer de ses cadres bistrés massifs. Si, comme Narcisse, on pourra se laisser séduire par son ego miré idéal, ou devrait plutôt aller à la recherche de sa véritable forme, n’est pas prescrit par l’artiste. Les espaces ‘derrière le miroir’ qui, en changeant sans cesse, surgissent durant la promenade, se rapprochent des effets trompe-l’œil des décors peints des séries de photos antérieures de Ziach. Les formes géométriques - tels que le triangle, le cercle et le carré - se traversent les uns les autres et créent des liens sans cesse alternants entre les images photographiques individuelles.
Les photographies que Ziach a utilisées pour son installation sont des détails agrandis de photos qu’elle a trouvé dans son archive, combinés avec des photographies qu’elle a spécialement fait pour l’installation et auxquelles sont attachés des souvenirs personnels : une bordure du trottoir avec une flaque de pluie à Paris, une lézarde dans un mur, une structure nids-d’abeilles sur une porte en verre dépoli et un groupe de maisons délabrées dans le cartier juif de Cracovie.
Ce sont des photographies abstraites selon la technique de l’agrandissement qui fut en vogue dans les années vingt parmi les photographes tels que Paul Strand et Albert Renger-Patsch, qui l’utilisaient pour démontrer qu’ils pouvaient faire miroiter la beauté intrinsèque de tout objet quotidien quelconque. Récemment l’exposition ‘Minimal Relics’ a montré un nombre de variations contemporaines de cette approche de la photographie. On pouvait, par exemple, se délecter de l’esthétique d’une boule de neige, ou des traces d’une présence humaine dans des bâtiments industriels abandonnés.
Les photographies de Krystyna Ziach possèdent une apparition minimale similaire, mais - en dépit du finissage esthétique – elle ne semble pas s’intéresser en premier lieu à la présentation de la forme pour la forme. Par la manière dont elle choisit et combine ses images et leur donne une plus-value symbolique, par exemple par leur couleur et leur forme, elle essaye de leur donner un nouveau sens en se défaisant de leur magie dans une technique de collage poétique rappelant le surréalisme. L’atmosphère surréaliste est intensifiée par des images telles qu’un rideau, un ciel nuageux à la Magritte et d’autres motifs organiques tels que les panaches de fumée, les structures cellulaires et les formes végétales, sur lesquels nous pouvons projeter n’importe quelles de nos fantaisies intérieures. Certaines photos sont franchement érotiques, telle que l’œuvre Illumination et les portraits d’une femme en extase. Pourtant, l’approche de Ziach est plus sérieuse comparée à l’absurdisme ou l’ironie dont se servait le surréalisme pour créer des liens réciproques. Sa série de photos peut être interprétée comme une quête métaphysique du sens de la vie, vu les titres des œuvres individuelles, tels que A Sense of Time, Plato’s Cave, Breathing et Illumination.
En un sens A Garden of Illusion se rapproche aussi d’une sorte d’atelier d’alchimiste. Comme les alchimistes, Ziach semble être à la recherche de la relation entre le microcosme et le macrocosme. Dans l’œuvre imposant Plato’s Cave, la fumée semble s’élever littéralement du miroir qui se trouve par terre, ce qui fait naître une association avec des rites de purification. Les quatre éléments - le feu, la terre, l’air et l’eau - reviennent à plusieurs reprises. Comme dit avant, la plupart des photographies réfèrent à des matériaux et des formes naturels. Analogue à la façon dont ces éléments sont séparés par les lois naturelles, Ziach les a également triés et encadrés séparément. Au lieu d’appliquer des procédés de chauffe et de refroidissement, Ziach semble utiliser le miroir comme un instrument pour la distorsion ou l’amalgamation de l’image - à la recherche de la pierre philosophale ? - jusqu’à ce que l’amalgame transcende l’autobiographique. Sur un de miroirs on peut discerner une matière à grain fin. Ziach a-t-elle réussi à pénétrer l’essence, a-t-elle trouvé la materia prima, ou est-ce que la promenade à travers son Garden of Illusion n’est-elle qu’un rêve, vu le voile bleu qui plane au-dessus de la poudre ?
Traduction: Hanny Keulers